CULTURE A CHLEF - EL ASNAM -

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CAFE LITTERAIRE DU 31 MARS 2015 ANIME PAR MAAMAR FARAH

CAFE LITTERAIRE DU 31 MARS 2015 ANIME PAR M. MAAMAR FARAH

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CAFE LITTERAIRE DU 31 MARS 2015

Le café littéraire de Chlef ne déroge point à ses habitudes depuis plus de huit ans et dont les membres essaient par leurs propres moyens de faire renaître la culture dans la ville de Chlef (El Asnam) contre vents et marées. Il ne se passe pas une quinzaine ou un mois où le café littéraire n’invite pas une grande personnalité du monde de l’écriture. Pour cette séance du mardi 31 mars 2015, il a eu l’insigne honneur d’abriter à l’intérieur de l’amphithéâtre du Centre de Loisirs Scientifiques, une grande figure du journalisme algérien et un écrivain de renom en la personne de M. Farah Maâmar, ex-chef de rédaction du journal « El Moudjahid », initiateur du journal « Ennasr », co-fondateur du « Soir d’Algérie ».

M. Farah Maâmar devait être présenté par le président du café littéraire avant d’entamer sa conférence dont le thème est : « Pourquoi et comment parler d’Apulée aujourd’hui ».

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M. Farah commença par lire à l’assistance une allocution qui a été présentée par Arezki Metref, au centre culturel italien en 2014 pour situer le premier romancier africain dans le temps et l’espace. Il devait, en outre, dire : «Je ne me souviens plus avec exactitude ce qu’Apulée de Madaure disait du hasard. Il n’existerait, je crois, selon lui, que comme la conséquence presque logique de circonstances destinées à engendrer une situation donnée. On n’est pas loin de la définition du hasard dans la philosophie existentialiste. Sartre disait que le hasard, on le choisissait indirectement. En choisissant quelque chose, on doit en choisir aussi les conséquences –inconnues – qui peuvent passer pour le pur hasard. Je dirais que cette soirée est due à ce hasard «apuléen» si je peux m’exprimer ainsi – Arezki Metref.»

M. Maâmar Farah devait lire le texte en entier car son ami Arezki Metref avait fait une étude sur Apulée pour le centre culturel italien.

«Pourquoi en parler ? Parce qu’Apulée de Madaure (Afulay de Tamadit) est un personnage de premier plan dans l’histoire de la littérature universelle et que nous avons la chance d’être, à plusieurs siècles de distance, ses compatriotes. Il était écrivain, démonologue, prêtre isiaque, juriste et maître de neuf muses. Parce que, aussi,  faut-il le rappeler, à notre conscience nationale assoupie dans une léthargie post-digestive, que d’ici est parti un bonhomme de l’envergure d’Apulée, gloire universelle en son temps, qui en vint même, en tant que coryphée du paganisme, à être tenu par les païens de l’époque selon son compatriote St Augustin, pour l’égal et l’opposé de Jésus-Christ Arezki Metref».

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Ayant terminé l’allocation de son ami Arezki Metref, le conférencier s’attaqua directement au thème de sa conférence qu’il voulait un plaidoyer pour cet homme illustre qu’était Apulée de Madaure. A ce sujet, il devait dire : «Pourquoi et comment parler d’Apulée de Madaure ? Voilà deux thématiques qui se rejoignent et qui nous interpellent pour réparer une injustice vis-à-vis de l’histoire de notre peuple qui restera tronquée tant que nous continuerons à ignorer les fondements de sa civilisation, les traits essentiels de son génie à travers la vie l’œuvre de ces grands hommes, reconnus mondialement, qui ont façonné la pensée universelle, en l’occurrence St Augustin et Apulée de Madaure, fils légitimes de la Numidie. Alors que ces hommes sont connus dans le monde entier et leurs vies ainsi que leurs œuvres décortiquées par les plus grandes et prestigieuses facultés des cinq continents, voilà qu’ils sont superbement ignorés dans leur propre pays. Cet oubli est impardonnable, cette lacune condamnable et ce mépris, tout simplement révoltant. Interrogez n’importe quel élève du primaire ou un lycéen de n’importe quelle région du pays et dites-lui qui est Apulée ? Qui est St Augustin ? Il ne saura vous répondre. Parce l’école, si soucieuse de fidélité à l’histoire des autres et qui ne retient du parcours lumineux de notre peuple que sa dernière révolution enseignée d’une manière manichéenne et abêtissante, cette école tourne le dos à nos lumières, aux grands hommes qui figurent sur toutes les encyclopédies et qui ont fait réagir tous les grands penseurs de l’humanité.

Le conférencier devait continuer son allocution en ces termes : «Habitant à quelques encablures de Madaure et tout près de la ville de M’daourouch qui tire son nom de l’ancien nom latin de Madauros, je peux vous assurer que ces noms prestigieux sont ignorés par les gens de la région. Aucune école n’a pensé à organiser une sortie vers ces ruines chargées d’histoire qui ont vu défiler les génies dans son université, la seconde d’Afrique après celle de Carthage. Et les noms de St Augustin et d’Apulée sont l’arbre qui cache la forêt car les penseurs, les philosophes, mathématiciens, astronomes furent nombreux dans cette ville qui doit être une fierté pour l’Algérie et tous les amazighs. On peut citer Maximilien le grammairien qui avait tissé avec St Augustin des liens épistolaires légendaires en échangeant avec lui des lettres qu’il convient de redécouvrir tant elles portent l’art de la rhétorique à son firmament : le païen développe ses arguments pour réfuter les idées religieuses et le chrétien dit la vanité et le nihilisme de la pensée athée. Echange courtois mais qui ne laisse rien au hasard, idée contre idée, argument contre argument. Ce débat, vieux de deux millénaires environ, n’est-il pas d’une actualité brûlante ? On peut aussi citer Martianus Capella qui a donné son nom à un cratère sur la Lune.

Il faut donc parler de tous ces hommes, étudier profondément leurs vies et leurs œuvres, les inscrire dans les programmes scolaires et les cursus des universités du pays, organiser des séminaires, colloques et manifestations culturelles diverses pour que le peuple algérien et les peuples de la région qui constituent un seul peuple amazigh, puissent retrouver leurs racines, leur histoire non tronquée et ressentir la fierté d’avoir contribué à la grande aventure humaine du savoir et de la connaissance.

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Il faut faire revivre St Augustin, Apulée et tous les enfants illustres de l’antiquité à travers les arts modernes et la culture en accordant les moyens nécessaires aux dramaturges, aux cinéastes, aux journalistes, peintres et autres pour immortaliser ces parcours lumineux et montrer aux générations montantes des exemples de réussite au niveau universel prouvant que nous n’avons pas toujours été des incapables et des bras cassés important tout, y compris des joueurs pour former une équipe nationale de football ! Car cette Numidie que l’on se doit de célébrer n’était pas seulement le pays de la grande littérature et d’une pensée philosophique saluée par Voltaire lui-même, mais aussi le grenier de Rome. Voilà pourquoi il faut parler de ces hommes illustres. Mais comment en parler ? Cela nous renvoie à l’idée que nous devons avoir de notre histoire, au rôle central des autorités.

A ce sujet, je voudrais citer une anecdote qui en dit long sur les mentalités rétrogrades qui empêchent ce pays de prendre à bras-le-corps son histoire, toute son histoire, sans zone d’ombre ni reniement. Il y a quelques années, par je ne sais quel miracle, le lycée de m’daourouch n’avait pas de nom. Je proposais au maire de l’époque, hésitant entre plusieurs noms, d’appeler cet établissement « lycée Apulée ». S’agissant d’un temple dédié au savoir, il me semblait que c’était là une belle appellation et un hommage à un fils de cette région, auteur du premier roman de l’humanité ! Le gars me répondit que cela posait un grave problème car cet Apulée n’était pas musulman ! Je préfère ne pas commenter cette anecdote. Le comble est que cet élu n’est pas le seul à penser de cette manière. Intoxiqués par une école rétrograde, voire obscurantiste, beaucoup d’habitants de cette région vous tiendront le même discours. Il y a un problème car Apulée ou St Augustin sont des berbères pur-sang. Ce sont des hommes qui se revendiquent de cette terre, de ce peuple, de cette culture qu’ils ont portée au firmament du savoir universel et s’ils sont venus avant l’islam, ce n’est certainement pas de leur faute. La bêtise humaine quand elle rejoint une forte volonté politique de tronquer notre identité, donne de si piètres résultats ! Voilà pourquoi, ces ruines qui reçoivent chaque année des milliers de pèlerins venus du monde entier sont ignorés des responsables locaux. Elles ont été victimes de dégradation et de pillage. Longtemps, elles furent un dépotoir et une honte ! Encore heureux qu’elles furent clôturées sous le règne de la ministre de la culture controversée, Mme Khalida Toumi.

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Comment se fait-il que, depuis l’indépendance, aucune infrastructure hôtelière n’a été bâtie dans cette région et je ne parle pas de M’daourouch, je cite aussi le chef-lieu de la wilaya Souk-Ahras, où les quelques hôtels bâtis depuis sont de catégorie inférieure et ne peuvent recevoir des hôtes étrangers ! Les pèlerins qui viennent à Madaure sont obligés de passer la nuit à Guelma ou Annaba, ce qui considérablement le temps qu’ils doivent passer sur les lieux de leur pèlerinage. Des tours opérators tunisiens organisent également des virées qui ne rapportent rien à la région. Je peux dire qu’il y a une volonté délibérée de limiter les horizons de notre histoire à des périodes bien précises et d’empêcher les générations montantes de saisir toute la profondeur de leur histoire qui plonge ses racines dans les temps les plus reculés. L’islam et l’arabe sont certes, deux éléments fondamentaux de la culture nationale, ils ont façonné notre identité et il serait inopportun de les renier car ce serait renier l’histoire de ce peuple. Mais cela ne doit pas se faire au détriment de l’amazighité qui est l’origine, la base, le fondement, l’identité authentique et que sont Apulée et St Augustin si ce n’est pas des représentants affirmés de cette culture et de cette civilisation ? Quand ils sont venus en Algérie, les arabes, porteurs d’une religion qui s’implanta rapidement en nos terres, n’avaient pas ramené avec eux des centaines de milliers de colons. La population autochtone qui embrassa rapidement l’islam resta telle quelle dans sa composante et ses caractéristiques et son arabisation progressive ne signifie pas qu’elle ait changé d’identité ou d’us et coutumes. Les changements sont intervenus au cours de ces deux dernières décennies sous une idéologie totalement étrangère à l’islam de nos pères. Nous sommes pratiquement tous des berbères. Que nous habitions Tizi-Ouzou, Chlef, Tiaret, Constantine ou Tamanrasset, nous restons amazigh même si certains sont devenus arabophones alors que d’autres sont restés berbérophones. Donc, la question de l’identité, le rapport que nous devons à ces hommes illustres de notre histoire, doit être le même partout. Ce sont les vicissitudes  de l’histoire qui nous empêchent, nous les hommes des plaines, de garder notre parler originel comme le font si bien les gens des montagnes.

A l’étranger, les tentatives de s’accaparer ces noms prestigieux en essayant de les extirper de leur milieu naturel et en leur refusant leur berbérité confirmée, ont été légion tout au long de l’histoire. La dernière en date a été celle de la colonisation qui voulait faire croire qu’Apulée et St Augustin, entre autres, n’étaient pas les fils de la Numidie mais les enfants de la colonisation romaine. Entendez par là : ils nous appartiennent, ils appartiennent à notre civilisation, la vôtre n’est pas capable d’enfanter de telles lumières. Cela servait évidemment la cause et les objectifs de la colonisation, comme cette prétendue œuvre de nous civiliser !

Pourtant, rien n’est plus amazigh que ces deux hommes : St Augustin et Apulée sont les enfants de la Numidie. Ce sont des amazigh et ils ne l’ont jamais caché. Apulée se présentait comme « mi-Numide et mi-Gétule » et les deux entités sont les deux faces de l’identité amazighe. D’ailleurs quant St Augustin évoqué le « plus illustre d’entre nous », il fit remarquer qu’Apulée était un digne fils de l’Afrique, cette Afrique qui était sa cause et sa passion puisqu’il en créa l’église, lui conférant toute la force de sa foi et la clairvoyance de son humanisme profond. Oui, ils étaient berbères, n’en déplaise aux manipulateurs de l’histoire, qu’ils se recrutent parmi les tenants de la colonisation ou parmi les obscurantistes.

St Augustin et Apulée ont écrit en latin. A ce titre, ils ont fait exactement comme tous les successeurs berbères qui ont écrit en arabe et en français. Le latin était la langue de l’envahisseur. Le français fut la langue des envahisseurs. L’arabe fut la langue dominante après les succès guerriers des armées arabes, porteuses de l’islam. Ecrire en latin était le meilleur moyen d’exprimer l’âme berbère, ses tourments, ses luttes, ses espoirs. C’était le meilleur moyen de les faire connaître. C’était aussi le meilleur moyen d’accéder à l’universalité dans les limites géographiques et de la connaissance de l’époque.

Je veux terminer en remerciant les organisateurs de ces rencontres hebdomadaires qui sont de véritables oasis de fraîcheur intellectuelle dans le grand désert de l’ignorance dominante. Ces infatigables bâtisseurs d’idées et de débats peuvent paraître comme des marginaux dans une société  qui ne reconnaît que les bâtisseurs de fortune, et souvent au moindre effort. Mais tôt ou tard, la fortune s’effritera et les constructions tomberont en ruine, alors que les idées semées ça et là par M. Boudia et ses amis, comme des germes prometteurs, donneront à coup sûr leurs fruits. Que nous soyons là ou ailleurs, au moment de ces récoltes bienfaisantes et fructueuses, il est sûr que ceux qui en bénéficieront sauront en reconnaître la valeur, comme nous sommes en train de le faire pour l’œuvre de ces génies lointains que sont Apulée et St Augustin.

Merci de votre attention – Maâmar Farah.»

Les débats ont été très fructueux avec l’intervention de M. Boufellouh Abdelkader, du Dr Medjdoub Ali, de Hrache Beghdadi, et de plusieurs autres participants à cette après-midi culturelle.

        Propos recueillis par Mohamed Boudia

 



11/04/2015
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