CULTURE A CHLEF - EL ASNAM -

CULTURE A CHLEF - EL ASNAM -

La Littérature Algérienne Moderne Pluraliste

La littérature algérienne moderne pluraliste 

Par Mohamed Ghris "publication de presse de l'auteur (dans Le Quotidien d'Oran, Le Courrier d'Algérie  juillet 2008-janvier 2009  

 

 Juste après l'indépendance du pays, la culture algérienne fortement marquée par les incidences de la longue nuit coloniale et les orientations nationalistes et pro -socialistes de   l' idéologie des clans du pouvoir,  va être caractérisée par des productions très inégales : celles culturelles –littéraires – linguistiques ,  se signalant dans le sillage officiel d'intellectuels francophones et arabophones notoires, qui universitaires, qui directeurs de divisions culturelles ministérielles, qui chefs de secteurs d'édition, qui responsables de départements linguistiques et littéraires, qui spécialistes  littérateurs, qui journalistes –critiques, qui éditorialistes animateurs de revues institutionnelles spécialisées,etc., etc.,  souscrivant tous aux injonctions du pouvoir, ( restant longtemps sourds aux revendications culturelles de l'Algérie profonde , francisants marxistes  occidentalistes et arabisants baathistes machrékistes  s'invectivant continuellement , mais tous deux sous la coupe d'un  machiavélique pouvoir  bicéphale)  par une  production médiocre dans l'ensemble mais non tout à fait  dénuée d'intérêt ,selon les spécialistes . Ces derniers accordant beaucoup plus d'attention,  à la production des auteurs déjà reconnus ou celle des  nouveaux talents consacrés en dehors des frontières du pays, surtout, pour des raisons objectives de blocages intérieurs. Le  reste de la production d'auteurs nationaux ne pouvant pas s'offrir les possibilités d'expressions ailleurs, à Paris ou à Beyrouth , se confinant dans la  marginalité , indépendamment des recommandations coutumières du système embrigadant , jouissant ,de la sorte,  d'une certaine  qualité et aux insuffisances compensées , néanmoins, par ce souci d'esthétique réaliste inhérent à une trame d'œuvres fortement enracinées dans  les préoccupations et aspirations populaires… quoique faiblement diffusées parmi le lectorat national pour des raisons aisément compréhensibles.

 

  Mais d'une manière générale, c'est l'ensemble de cette production qui souffre de l'insuffisance des canaux de diffusion, et du manque d'assises culturelles de médiation favorisant les rencontres entre gens d'arts et de lettres, que l'idéologie conditionnante de la pensée unique a contraint  au silence , réduisant conséquemment à une peau de chagrin l'apport de littérateurs, de propulseurs et propagateurs d'arts et de belles lettres, ou favorisation  de  milieux culturels ambiants animés par des critiques professionnels émergents, pratiquement fauchés à la racine par les vigiles de l'ordre imposant de valeurs à sens unique. Ce dernier, résultant d'une idéologie nationaliste ,nourrissant au départ des velléités d'édification du pays et de justice sociale,en continuité avec l'esprit de la révolution et le sacrifice des martyrs , mais qui ont très vite bifurqué, - au grand dépit des militantes et militants sincères de l'Algérie combattante restés dans l'anonymat-  à la faveur des tractations et contradictions claniques  du pouvoir, en un climat sociopolitique particulier , embarquant les hommes politiques et intellectuels des deux premières décennies post indépendance dans un conditionnement  dogmatique aux répercussions désastreuses sur le plan culturel - mental.

 

  C'est ainsi,que l'approche du réel,sur le plan esthético-littéraire et artistique, qui se verrait idéalisé à l'extrême, s'agissant de l'histoire de la lutte de libération nationale vidée de son essence profonde, ou de la quotidienneté sociale entièrement recouverte par l'artifice  plaqué du triptyque révolutionnaire agraire,culturel,industriel, noyant toute expression naturelle humaine hors normes perçue comme intention subversive rebelle par les ouailles de service des apparatchiks. Situation dénoncée, naturellement par nombre d'écrivains, d'intellectuels, artistes, etc., le public auquel s'adressait cette déformation tendancieuse des faits, s'y laissant rarement prendre, opposant presque toujours un scepticisme railleur aux discours officiels. Ainsi ces occasions de commémorations servant, en plus de la confiscation de la mémoire collective, à ressasser le discours sur mesure de  l'invocation des « constantes de l'identité nationale » convenables, à l'exclusion des autres paramètres identitaires – culturels inhérents, pourtant, à la réalité de l'Algérianité  plurielle mais qui se trouve en inadéquation avec le credo réductible et chauviniste du régime  autoritariste de la période. Il faut dire que nombre d'intellectuels, écrivains et artistes quoiqu' oeuvrant dans le cadre étroit délimité par les injonctions du pouvoir, sont parvenus, néanmoins, à s'exprimer ; beaucoup soutenant des initiatives populistes et étatiques sociales, y étant acquis aux thèses socialistes, mais reprochant surtout au régime de dévier de la voie assignée et des orientations de fond de la révolution nationale. Conscients des risques de pareilles dérives, nombre d'intellectuels dits organiques, tels Mostéfa Lacheraf, préconisent des actions culturelles de masse pour parer à l'inculture ou vide culturel régnant ,caractérisé par les querelles stériles des arabisants-francisants , notamment, en rupture avec lé vécu quotidien du menu peuple et ses  cultures orales d'arabe dialectal et berbère, et toute la panoplie d'un patrimoine culturel et littéraire conjugué aux apport modernes qui ne demandaient qu'à être valorisés, promus et mis au diapason de la modernité scientifique et culturelle universelle afin de tenter de résorber le retard séculaire chez les masses populaires et les adapter aux réalités du monde présent .

 

   Dans cette optique, la réactivation du  secteur de l'édition nationale s'avérait d'une urgente nécessité, le monopole d'Etat se proposant d'encourager la production intellectuelle mais ne veillant, bien entendu, qu'aux intérêts clientélistes, favorisant, ainsi, des lots de quantités livresques de teneur médiocre dans leur  majorité.  Ce n'est que vers les années 80 que l'étau du monolinguisme  ambiant commence à se desserrer, permettant,ainsi à quelques maisons d'éditions indépendantes d'émerger, certaines alternatives recourant à l'auto-édition rudimentaire, le principal souci n'étant pas d'ordre commercial mais de diffuser un message surtout,par le biais d'un bulletin, d'un fascicule, d'un polycopie,etc., faisant circuler entre les mains d'amis et lecteurs sympathisants les publications de poèmes algériens d'anciens  poètes aux cotés de nouveaux  talents émergeants. Mais c'est surtout aux lendemains du tournant  d'Octobre 1988 que les vents des changements pluralistes se font nettement affirmer sur la scène médiatique, littéraire,culturelle,etc., conséquemment à la rupture politico- sociale  avec le règne du système d'embrigadement monopartiste    dont l'idéologie insidieuse et les atteintes flagrantes aux droits et libertés fondamentales et individuelles des citoyens , surtout après les  évènements des tragiques journées d'octobre causant des centaines de morts de jeunes manifestants et durant lesquelles la pratique de la torture effroyable a été révélée au grand jour , et publiquement  dénoncée  par les représentants des droits de l'Homme et  écrits d'universitaires ,entre autres, intervenant par le biais de leurs  revues ou bulletins d'informations,tel que celui  du Comité de Coordination Inter-universitaire de la région Centre, qui dans la déclaration  d'universitaires de l'Algérois, réunis en Assemblée Générale, le  17 octobre 1988, à l'Université des Sciences et de la Technologie Houari Boumediene  mentionne notamment :

« Nous , universitaires de l'Algérois (…) condamnons la répression sous toutes ses formes ( tir à vue sur les manifestants, arrestations massives, usage de tortures physiques et morales); dénonçons le recours à l'état de siège, les arrestations pour opinions, les tribunaux d'exception, le silence et la désinformation des organes d'informations, les violations de domiciles (…) ; Exigeons la libération immédiate et inconditionnelle de tous les détenus arrêtés pendant les évènements et l'arrêt des poursuites(…)exigeons par ailleurs (…) que le 5 octobre soit désormais commémoré comme journée nationale contre la torture et pour les libertés démocratiques ; que soit introduit un amendement à la constitution (…) « instaurant » : La liberté d'expression sous toutes ses formes, la liberté d'association et d'organisation, la levée du quadrillage policier de l'université et le respect des franchises universitaires et hospitalières, (…) l'indépendance de la justice, la liberté d'utilisation des médias et le droit à l'information, la reconnaissance des syndicats autonomes, l'élection d'une assemblée constituante après débat démocratique national dans le cadre des structures librement choisies ». (Cf : Bulletin universitaires des Sciences et la Technologie de l'Algérois  1988-89)

  Certaines des recommandations de ces universitaires qui se sont déclarés courageusement  mobilisés contre toutes formes de répression et pour la sauvegarde des libertés démocratiques, en  constituant notamment un comité contre la torture, si elles avaient été sagement suivies par les pouvoirs  apparatchiks de la période, auraient pu, peut-être, leur faire éviter   l'enlisement dans les stratagèmes machiavéliques  des apprentis sorciers des coulisses qui ont   une grande part de responsabilités dans les graves dérives lourds de conséquences qu'allait connaître le pays par la suite. Et pour cause…Pour s'assurer la mainmise totale du pouvoir sur tous,  tout était bon pour les manœuvres politiciennes occultes de certaines franges apparatchiks quitte à s'allier au diable,  autrement dit miser sur un soutien stratégique d'une « force extérieure » (mouvance extrémiste islamiste) qui risquerait fort de se retourner à tout moment contre ses manipulateurs et bien avant que ces derniers ne s'en débarrassent au moment opportun. Et c'est effectivement ce qui est arrivé : les extrémistes islamistes « ralliés » par les calculateurs ayant fini par entraîner l'évincement d'une bonne partie de  ces derniers et se croire providentiellement destinés à prendre en main la direction du pays et la révision de fond en comble de ses mœurs et coutumes traditionnelles et contemporaines.              

    Ainsi, après 1989,  et en dépit de l'émergence du multipartisme en Algérie  suite aux réformes institutionnelles imposées par les émeutes de la rue, l'islamisme radical profite de la situation de réaménagement sociopolitique pour propager  ses vues extrémistes. La mobilisation de ses ouailles et de nombreux partisans parmi les couches populaires s'étant prononcé en faveur du parti islamiste extrémiste,aujourd'hui dissous ( après avoir été autorisé auparavant  de façon illégale suivant de faux calculs politiciens d'apprentis sorciers apparatchiks)   s'expliquant beaucoup plus par la volonté rageuse d'un vote massif sanction contre les représentants inamovibles du système FLNiste oppresseur perdurant que  par une option populaire  fondamentale véritablement en faveur des thèses rigoristes fanatiques que la majorité des citoyens du peuple Algérien ne partagent pas , parce que tenant d'un Islam Maghrébin,traditionnellement pacifiste et tolérant. La condamnation des crimes du terrorisme au nom de l'Islam a été unanime d'ailleurs, et c'est ce qui a contribué, du reste, à mobiliser tous les intellectuels Algériens pacifistes, toutes langues et toutes tendances confondues contre ce fléau démentiel  ravageur.                 

 

  Durant cette phase cruciale succédant aux journées fatidiques d'octobre 88, l'activité éditoriale n'a pas du tout été absente, ainsi le journaliste Abed Charef, alors correspondant de l'AFP (Agence France presse) qui a produit un livre- témoignage cru des évènements, intitulé  « Octobre, manipulation ou révolte ? ». L'ouvrage a été publié chez un éditeur privé, Laphomic, le champ éditorial ayant commencé à s'ouvrir, au même titre que la presse écrite, d'ailleurs, qui va connaître un « boom » extraordinaire et dans les deux langues de l'arabe et du français ! La production littéraire de la période va relativement s'accroître comparativement aux années précédentes, avec une propension du livre religieux dans l'édition en arabe s'expliquant par la conjoncture politique de l'heure, et qui voit,également, un nouveau ton chez les auteurs qui se libèrent progressivement de l'habitus consacré du conformisme ambiant,jusqu'ici, au grand bonheur d'un lectorat national ravi de découvrir , exprimé dans les deux langues,  la contestation énergique, et au grand jour, de  la sacro –sainte unité de pensée perpétuant cette néfaste   mentalité féodale dérivant  du « comité central des féroces ancêtres  » ,comme dirait Kateb Yacine.

 

   Les écritures de cette nouvelle et abondante littérature  de la décennie 90, dite littérature de l'urgence,  sont l'œuvre d'une nouvelle génération d'écrivains, qui s'éditent surtout chez des éditeurs  privés et qui n'ont généralement bénéficié d'aucun  soutien des institutions d'état, ce qui les pourvoient d'une grande marge d'autonomie par rapport à l'édition et à la diffusion, et surtout par rapport à la liberté d'expression. Ces textes comportent dans leurs contenus de nouvelles thèses, de nouvelles idées,  de nouvelles approches qui remettent en cause les différentes valeurs idéologiques et politiques dominantes de la scène culturelle, et fait nouveau également : ces textes, dans leur majorité, qu'ils soient d'expression française ou arabe, ou populaire – dialectale pour les œuvres théâtrales, dont certaines éditées à l'étranger, comportent un rapprochement d'ordre thématique et idéologique, et les auteurs sont de plus en plus bilingues, voire trilingues ,  expérimentant dans leurs œuvres  une nouvelle écriture, que les critiques universitaires  Rachid MOKHTARI et Mohamed DAOUD désignent  par " la graphie de l'horreur" et" la violence du texte ", par ailleurs celle aussi du macabre et du funéraire,selon les auteurs –romanciers.

 

  Cependant, ces textures dits de l'urgence n'étaient pas considérés , à leur début, comme entretenant un rapport avec la littérature proprement dite, par certains littérateurs et critiques qui hésitaient ,pour ne pas dire refusaient , de leur accorder le statut de littérarité, y  voyant un pendentif du genre polar noir,  collant tout au plus à une pénible actualité prise comme prétexte  référentiel pour servir de toile de fond à une trame souvent pauvre et sans enchaînements situationnels et développements logiques ! Jugements hâtifs ,balancés un peu trop vite ,apparemment, comme s'y sont précipités nombre de « critiques » ,avant de les reconsidérer par la suite , ou éviter d'en parler. Aussi, force est de constater, d'une manière générale, que cette littérature algérienne dite de  l'urgence, qu'elle soit de graphie arabe ou de graphie  française, les deux ayant des points communs sur ce plan thématique voire idéologique, à certains égards, n'arbore pas moins un courant véritablement novateur du fait de la remise en cause claire de l'idéologie des pères fondateurs, notamment sur le plan d'une autre structuration narrative ,fragmentée en une nouvelle dimension  spatio-temporelle caractérisée par une syntaxe et mots fusant vifs, dénués de toutes fioritures, et  aux antipodes de  l'esthétique caractéristique  des romans algériens d'auparavant. Ce qui témoigne, on ne peut plus,  d'un nouveau style d'écriture charnelle, qui transgresse les normes coutumières.

 

   Ces nouveaux promoteurs d'un genre ;qu'ils aient pour nom Yasmina KHADRA, Boualam SANSAL, Bouziane BENACHOUR, Salim BACHI, Azziz CHOUAKI, Aissa KHELLADI, Sadek AISSAT, Latifa BENMANSOUR, Leila ASLAOUI, Ghania HAMMADOU Nina BOURAOUI, Salima GHEZALI, Leila MEROUANE, Hassan BOUABDALLAH, Yassir BENMILOUD, Maissa BEY etc… ou encore Bachir MEFTI, Yasmina SALAH, Said MOKKEDEM, Djillali AMRANI, Kamel BERKANI, Hamid ABDELKADER, Rachida KHOUAZEM, H'mida LAYACHI,  Mohamed SARI,  Amin ZAOUI, Abdelkader HARICHENE, etc…, tous ces écrivains, (on ne pourra jamais les citer tous) femmes et hommes , émergés pour leur plupart dans la conjoncture dramatique des années 1990, ont suscité, par leurs écrits de circonstances , des oeuvres ,qui quoique  controversées, constituent la littérature marquante d'une conjoncture sociale cruciale de l'Algérie et un apport de plus caractérisant la littérature d'une étape de l'histoire socioculturelle du pays venu  enrichir le vaste patrimoine culturel et littéraire de l'Algérianité mosaicale.  

 

    Répondant à une question d'un journaliste relative aux perspectives de la littérature algérienne , Bachir MEFTI, l'auteur du remarquable roman en arabe « Cérémonies et funérailles ( au même titre d'ailleurs que celui en langue française « Peurs et mensonges » de Aissa Khelladi)  dira notamment : « Aujourd'hui la littérature algérienne est riche de par la pluralité de ses langues, courants et genres et expériences diverses et qu'on commence juste de sortir de l'unilatéralité négative qui divisait les écrivains entre progressistes et réactionnaires.De plus en plus aujourd'hui des écrivains écrivent en arabe et en français ,et d'autres en tamazight ou en arabe dialectal( cf.Mokhtar, du talentueux Merzak BEGTACHE qui compte également des écrits en arabe classique ,en français et une tentative en arabe dialectal, comme il y a aussi les autres bilingues comme Rachid Boudjedra , Amin Zaoui, Hamida Layachi, certaines poétesses venant du monde de la presse,etc...)Les positions ne sont plus tranchées comme naguère, et de plus en plus les écrivains et artistes des divers langages de l'Algérie plurielle se rencontrent et confrontent leurs idées et idéaux, l'aspiration démocratique saine et la tragédie qu'a traversée le pays y étant pour que (Interview in le volet en français du quotidien arabophone " Algéria news " du jeudi 02/12/2005).

 

   Et  c'est de fait qu' on assiste aujourd'hui, comme le constate Bachir MEFTI, à un retour à la littérature comme aventure, liberté, jeu, folie etc…Il y a comme qui dirait une farouche volonté d' en finir avec cette étape de meurtrissures et de s'engager dans de nouvelles voies  ou    à l'image d'un   Mohamed Magani ( qui écrit en français et en anglais) qui  nous revient avec un roman-proposition  de sortie , ou d'issue des écrits de l'urgence en la nouvelle phase des métamorphoses qui s'annoncent vraisemblablement , comme le suggère l'intitulé significatif de son ouvrage : « Une guerre se meurt » (Casbah éditions, Alger 2004), ou, pour ainsi dire , c'est  « une littérature qui se meurt »pour exprimer précisément cette volonté ou ce souci intense de trancher avec cette texture   de la violence  et pouvoir écrire autre chose Cet espoir tant attendu qui fera écrire à MAGANI « un livre pour tourner la page , mettre terme à cette graphie de l'horreur. »

 

    Autrement dit, comment dépasser l'écriture de l'urgence ? Il y aurait « urgence » dès lors à aller au-delà de cette écriture dite de l'urgence,pour pouvoir aborder les  nouveaux horizons et perspectives qui s'offrent à la littérature algerienne d'expression plurielle.C'est le souci de la majorité des écrivains algériens,impatients de tourner résolument la page, mais cet  optimisme  manifesté semble mitigé, pareil à celui  généré aux lendemains de la rupture d'octobre 1988  , tant la méfiance persiste face à l'héritage très lourd des ancêtres et des circonstances marquantes des conjonctures historiques, anciennes et récentes. Ce qui  n'a pas empêché  la nouvelle génération,  de trouver sa propre voie marquée de sa propre empreinte. Et c'est ce qui ne manquera pas , vraisemblablement, de caractériser l'autre impulsion nouvelle qui s'agite dans  les esprits des  jeunes  créateurs  littéraires nationaux, plus que jamais décidés à libérer le verbe et l'émanciper de la mainmise enrayante, « d'un milieu  qui ne croit qu'au passé »( dixit l'écrivain Bachir MEFTI), traduisant une volonté  d'une rupture nette  avec l' « idéologisme antagoniste »  stérile et destructeur des prédécesseurs arabophones et francophones. 

 

    Le jeune écrivain Abderrezak Boukeba : « Je fais partie d'une génération qui n'est pas concernée par « les haines » liées aux langues. Une génération qui connaît l'arabe et le français, lit la littérature mondiale plus que la littérature arabe qui est attachée autant à la Méditerranée qu'au Machrek », souligne-t-il. Il faut, selon lui, sortir de la classification artificielle des auteurs et s'intéresser aux critères humains : « C'est une question d'échange .L'échange sous-entend la différence, ce qui est un acquis pour la littérature. On ne doit pas perdre cela à cause de l'idéologie ou des intérêts (…) nous avons été privés d'un enrichissement linguistique depuis 1962. Il n'existe pas de conflit de génération mais un conflit d'intérêts » (dans l'article « Je lis la ville à la lumière du village » de Fayçal Métaoui, El Watan du 14/12/2008). Abderrezak Boukeba , 31ans , est  journaliste dans la presse  culturelle arabophone , et  collaborateur à la Télévision Algérienne (ENTV) et le Théâtre National Algérien ( TNA), il a publié  en 2004 un recueil de textes « Qui a mis la joue de Sebawaih dans le sable ? »,chez  Barzakh Editions,  et dernièrement  « Adjnihet limazadj  el dhi'eb el abiadh»Le loup blanc se sent pousser des ailles) chez   Alpha éditions, Alger 2008. Connu pour animer une émission culturelle (« Fouçoul » : Parenthèses) à l'unique chaîne de  télévision publique  algérienne. Il représente, en quelque sorte ce nouveau type d'auteur du  pays, ou d'ailleurs qui s'y sent  lié, et qu'il faut cesser, un jour, de qualifier d'arabophone, de francophone, de berbérophone, ou de quoi que ce soit d'autre d'épithète discriminatoire, mais d'écrivain Algérien tout simplement ! 

 

  Ainsi, après des années de la prééminence de  la tendance idéologique des thématiques politisées et  conceptualismes didactiques ,à peine voilés, qui  prenaient le pas sur l'esthétique et la poétique d'art réaliste authentique n'excluant nullement l'apport de l'imagination créatrice, et après la phase d'ébullition de la littérature dite de l'urgence caractérisant la sombre décennie rouge, voilà que la littérature algérienne d'expression plurielle , loin de connaître un essoufflement,  assiste au contraire ,aujourd'hui  , au surgissement progressif de nouveaux penchants  esthético- artistiques langagiers , tendant au  renouvellement de ses  formes coutumières  rompant, notamment, avec les anciens styles, structurations spatio-temporelles ,  conceptions littéraires classiques consacrées, etc. Cette métamorphose graduelle incluant ,notamment, la prise de distance nette vis-à-vis  du  monolinguisme réducteur d'hier, tout à fait inopérant ,par les temps qui courent du plurilinguisme actuel, des  métissages littéraires, multiculturalismes, intertextualités inter fécondantes, etc. Ces paramètres induits par les mutations  transculturelles dans le champ  esthético – artistico - littéraire ,tant au niveau national que mondial, ont, non seulement  entraîné  des  bouleversements sensibles  à divers niveaux des thématiques, formes et structures textuelles de la littérature nationale plurielle, mais également au plan de la redéfinition  de la notion  d'identité culturelle, désormais  dégagée des aléas conformistes  contraignants de  son champ classique.  .La raison pour laquelle, les nouvelles textures de la littérature  algérienne plurielle font de plus en plus état de thèmes tournant désormais autour de l'univers des préoccupations intimes, comme par exemple le discours sur le couple moderne, ou les préoccupations des jeunes à travers le choix de profils psychologiques d'une jeune fille ou jeune homme en bute aux contradictions d'un milieu conservateur et la problématique d'insertion dans la post-modernité et la mondialisation multiculturelle en général, ou autrement dit cette nécessité citoyenne d'un choix d'idéal de vie personnel ,indépendamment des impositions de la collectivité.,etc.

 

    En d'autres termes, à coté de l'idéologie classique du collectivisme politique, ou autre de l'idéologie diffuse, héritée du passé tribal ancestral, la voix au chapitre est dorénavant, de plus en plus donnée à l'identité individuelle. C'est désormais, pour le dire de façon plus claire, le passage amorcé,- pour la littérature algérienne plurielle, - de la quête identitaire  nationale collective complexe d'hier, à celle de l'affirmation, tout autant légitime, de l'identité individuelle citoyenne, autonome – libre,  d'aujourd'hui, hissée  au diapason de la modernité et mondialisation polycentrique, transculturelle et multilingue ambiante de nos jours. Et il était temps que la littérature algérienne amorce ce virage important, synonyme de passage à une nouvelle étape qui se dessine, quoique difficilement, à l'image des pénibles évènements influents ornant sa toile de fond sociale environnementale.

 

  Ainsi  , longtemps après avoir tourné ,  autour du cercle du Même et de l'Autre , l'essence de la littérature algérienne a su commencer à casser, au détour du parcours de maturation, la dialectique circulaire du Même et de l'Autre, pour dire , comme l'observe  Abdelkader Djeghloul « une autre violence, d'autres violences internes qui font littéralement imploser le Même et induisent une nouvelle dialectique, celle du dévoilement de l'envers du décor de la modernisation accélérée de l'Algérie » ( in ouvrage « De Hamdane Khodja à Kateb Yacine », chapitre Pour un regard national !, Editions Dar El Gharb, Oran –Algérie 2004 ).

 

  Considérations auxquelles il  convient d'ajouter les éclaircissements de Pierre Halen , précisant qu'aujourd'hui « Nous sommes entrés cependant dans une autre phase, dite post-moderne, ou le Sujet de l'Histoire et l'Histoire elle-même , mais aussi les rapports du Sujet aux langages et aux genres, aux univers culturels et aux territoires , en somme à ses identités, ne peuvent plus s'appréhender qu'au pluriel, soit que chacun puisse endosser tour à tour plusieurs identités , soit qu'il puisse en invoquer plusieurs à la fois, sous la forme des métissages. A la logique binaire du Même et de l' Autre se substitue l'idée d'un Sujet pluriel, siège de plusieurs «  Mêmes » à la fois, ou , pour le dire autrement , lieu d'accueil de l'Autre dans le Même » (    ( Cf. Pierre  Halen,  « Reprendre  la notion d'identité culturelle avec deux essayistes francophones », in ouvrage collectif «  Interférences culturelles et écriture littéraire », Actes du colloque de Tunis du 7 au 9 janvier 2002, éditions Beit El Hikma , Carthage 2003).

 

  Dans la pratique, cette mutation qui se dessine, d'une manière  générale,  dans le champ d'expression esthético- artistique de la littérature algérienne , qui rompt , à maints égards , avec  les codages du moule usité de  l'esthétique ordinaire jusqu'ici , est en train, vraisemblablement, de l'avis de spécialistes – littérateurs aguerris, de rejoindre le giron international des œuvres transfrontières,« translinguistiques » et « trans-identitaires » ,pluri -communicationnelles de la République Universelle des Arts et des Lettres de l'Humanité.

 Feu Malek Haddad :   «  Avec les écrivains algériens d'origine européenne qui ont choisi  l'Algérie comme patrie, nous n'avons que l'avenir en commun. Ce qui n'est pas si mal. La marque indélébile de l'Islam nous distingue mais ne doit pas nous séparer. Notre folklore, nos modes de pensée et de sentir, et partant d'agir, nous sont propres. Même en nous exprimant en français, nous transportons le Rêve, la Colère, et la Complainte sortis des siècles et des siècles de notre Histoire nationale.(...) Ce qu'il convient surtout de noter, c'est que même en s'exprimant en français, les écrivains algériens d'origine arabo-berbère traduisent une pensée spécifiquement algérienne , une pensée qui aurait trouvé la plénitude de son expression si elle avait été véhiculée par un langage et une écriture arabe (...) » ( Malek Haddad, extrait de "Les zéros tournent en rond" ( Ecoute et je t'appelle, Paris , Maspero, 1961, p.27et pp 32-34) .

 

  « Une pensée spécifiquement algérienne, une pensée qui aurait trouvé  la plénitude de son expression si elle avait été véhiculée par un langage et une écriture arabe ... » …et une écriture amazighe,  aurait pu ajouter en 2008 le regretté Malek Haddad s'il avait vécu jusqu'à ces temps présents.  Cependant, le français, beaucoup plus que ce tribut de guerre (dixit Kateb Yacine), mais une véritable passerelle en cette ère de la mondialisation transfrontières, aurait permis à plusieurs vagues d'écrivains Algériens d'émerger, et de s'imposer à l'échelle universelle même. A  l'image de la romancière  Assia Djebar, désormais immortelle Académicienne , de Mohamed Dib, Mouloud Maameri,Nabile Fares, Djamel Edine Bencheikh, Kateb Yacine et leurs continuateurs ,entre autres  le talentueux Rachid Boudjedra ( auteur du fameux  La répudiation, et surtout de L'insolation, à structure Katébienne ), à l'oeuvre mondialement connue et traduite dans diverses langues, Boualem Sansal, au verbe extraordinairement séducteur  et rebelle ,Yasmina Khadra l'auteur dont l'étoile monte au firmament, et  déjà assez  prolifique , l' un  de ses  romans primés , L'attentat,  attend d'être réalisé par la prestigieuse firme  Hollywood , ou encore l'auteur – universitaire  Amine Zaoui, qui se distingue par son œuvre prolifique bilingue ( de graphie arabe et française) caractérisée par une richesse thématique et composition particulière de recherches esthético - langagières au souffle remarquable très prometteur  Ceci sans oublier les regrettés Rachid Mimouni , Sadek Aissat, morts en exil,   Tahar Djaout, Youssef Sebti, assassinés durant la sombre décennie rouge mais dont l'esprit demeure présent avec le legs de leurs écrits  mémorables.

 




16/06/2009
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